Captures éditions

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LJC Ephemera

Le classeur intitulé LJC Ephemera réunit 115 documents dont les faces recto et verso sont reproduites en vis-à-vis, à échelle 1, sur des feuilles de papier à petits carreaux. Au sein de cette édition se succèdent ainsi des reçus et tickets de caisse, des coupures de presse, des tickets d’entrée pour des expositions ou des spectacles, des notes sur des post-it, des cartes de visite d’hôtels et restaurants, des cartons d’exposition. Certains de ces objets sont annotés avec des dates et lieux de rendez-vous, des noms d’artistes ou diverses inscriptions, mémos pour des projets en cours.

Ces ephemera, ainsi que les désigne le titre imprimé sur le classeur, proviennent de 49 carnets de notations, entre les pages desquels 650 papiers et documents ont été conservés au fil du temps par Lefevre Jean Claude, puis scannés en 2009, date à laquelle il prit la décision de cesser de rédiger ses carnets et de les archiver. Pour le classeur constituant le premier tome de la série, les carnets de 1 à 17 (1988-1995) ont été pris en compte.

Depuis la fin des années 1970, au travers de LJC Archive, Lefevre Jean Claude s’emploie à rendre compte de ce qu’il nomme le « travail de l’art au travail ». Ainsi sa démarche consiste-t-elle à inventorier et à retranscrire l’ensemble des faits qui confère à son travail même un ancrage dans la réalité sociale de l’art — qui est aussi, en grande partie, celle de sa vie.

« Le rôle, la fonction de l’archivage est d’être à la fois la peau et le corps du travail de l’art(1) », écrit-il dans l’une de ses nombreuses notations. Quelle que soit leur nature, tous les éléments archivés peuvent faire l’objet de notations ultérieures et devenir ainsi la partie visible du travail, intégrant à son tour l’Archive. Cette conversion s’opère grâce à une « écriture à caractère documentaire qui, minutieusement, jour après jour, enregistre la réalité vivante de l’art jusqu’aux microévènements qui en font l’épaisseur concrète (vernissages, œuvres, rencontres, projets et idées dans leurs évolutions, contenu des cartels des tableaux exposés dans les galeries d’art, cartons d’invitation annonçant les expositions, catalogue, etc., le tout accompagné d’un commentaire discret mais souvent tranchant(2). »

De même que les documents archivés ont pour fonction de pouvoir être saisis par ce travail d’écriture, de même l’écriture a-t-elle pour destination l’imprimé (édité ou exposé) et la lecture, qui en sont les principales modalités de publicité.

Dans l’ensemble de ce dispositif, la récente publication de LJC Ephemera donne à voir et à lire un matériau qui restait jusque-là inaccessible. À la différence des écrits de Lefevre Jean Claude, qui se caractérisent par une cohérence formelle par-delà la diversité de leurs modes d’apparition, les ephemera impliquent une grande hétérogénéité matérielle, textuelle, graphique, inhérente à leur diversité. Ici apparaît la part tangible du matériau documentaire, ainsi que son inscription biographique. Si le travail de l’art au travail est indissociable d’une topographie et d’une chronologie qui se confondent avec la vie de l’artiste, celles-ci deviennent d’autant plus concrètes quand se succèdent tickets de transport ou d’achats, billets d’entrée et cartes de visite.

Habituellement, les documents bruts archivés par Lefevre Jean Claude n’ont pour le lectorat qu’une existence médiate, par le biais d’un exigent travail d’écriture et de réécriture. Les ephemera, ici reproduits tels quels, peuvent alors s’appréhender d’au moins deux manières.

Tout d’abord, comme un ensemble autonome, proposant une autre forme de chronique du travail de l’art au travail, ne relevant plus de l’écriture rédactionnelle, textuelle, mais d’une écriture graphique et éditoriale, fruit d’une collaboration avec les éditrices Valérie Cudel et Francine Zubeil. Entre ces diverses formes d’écriture, on peut toutefois relever une continuité stylistique, caractérisée par la retenue et la sobriété des moyens formels mis en œuvre, servant dans tous les cas une approche factographique : une écriture des faits(3).

Une autre façon d’appréhender les ephemera serait de les mettre en relation avec les notations provenant des carnets dans lesquels ils étaient initialement disséminés(4). Une lecture comparative minutieuse permet de déceler quelques correspondances directes. Mais bien qu’ils aient été originellement insérés parmi des notations, les ephemera n’en sont ni l’illustration ni la preuve ou la vérification. Le plus souvent, ils semblent avoir leur propre nécessité.

La pratique de l’écriture implique toujours des choix, une forme de cadrage, tant sur le plan de ce qui est énoncé que du point de vue de la forme énonciative. Replacé dans l’ensemble du travail de Lefevre Jean Claude, le classeur LJC Ephemera donne alors à voir et à lire un hors-champ de l’écriture sur lequel, pourtant, celle-ci se constitue, et opère un décadrage par lequel ce hors-champ devient à son tour lisible comme un nouvel écrit.
Jérôme Dupeyrat, 2022

1- Lefevre Jean Claude, [18 août 1994], LJC notations 1977-2007, Rennes, éd. Incertain Sens, 2019, p. 160.
2- Leszek Brogowski, Éditer l’art, Le Livre d’artiste et l’histoire du livre, Chatou, Éditions de la Transparence, 2010, p. 35.
3- Cf. Marie-Jeanne Zenetti, Factographies. L’enregistrement littéraire à l’époque contemporaine, Paris, Classiques Garnier, coll. « Littérature, histoire, politique », 2014.
4- Cf. Lefevre Jean Claude, LJC notations 1977-2007, op. cit.

Classeur 182 x 224 mm
Papier colorpan, Lockwood Green
242 pages
Coproduction Captures éditions, La Fabrique sensible et LJC Archive, 2022.
ISBN : ISBN : 978-2-491549-15-2
35 €
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